Mama Black Widow
- Roman
- 15 août 2020
- 4 min de lecture
De Iceberg Slim, aux éditions de l'Olivier, 1969
Troisième volet de la trilogie d’Iceberg Slim, Mama Black Widow nous entraine au cœur du ghetto noir de Chicago des années 40 à 60. Survivre à la misère, à la violence de la rue et celle de la police, au racket, à la prostitution est un challenge quotidien. Les plus forts et les plus malins tirent leur épingle d’un jeu où la haine entre blancs et noirs, née dans les champs de coton, atteint son paroxysme et dont l’Amérique paye encore, de nos jours, ce douloureux héritage.
Otis Tilson est né dans le Sud des Etats-Unis, son père travaille dur et s’épuise à cueillir le coton mais il nourrit bien sa famille. Pourtant Mama ne désire que s’extraire du Sud raciste pour s’installer dans le Nord avec des rêves de richesse et de liberté. Or, ce ne sera que désenchantements et douleurs. Otis, très beau travesti raconte à Iceberg Slim l’histoire de sa famille dont les membres seront broyés par les lois sordides du ghetto.
Cette trilogie d’Iceberg Slim, l’ancien maquereau de Chicago, démontre la puissante inertie de la reproduction des classes sur les terres de l’American Dream. Désormais écrivain, Iceberg Slim peut se permettre de parler des années d’exclusions de la société WASP et des pires ….. Se rachète-il une conscience en démontrant la pesanteur d’une société raciste qui entraine, parfois malgré eux, même les meilleurs dans la spirale infernale de la délinquance. Dans tous les cas, cette trilogie est un chef d’œuvre unique et indispensable.

Iceberg Slim, de son vrai nom Robert Beck consacra plus de 20 ans à devenir le plus grand maquereau du monde. Et il y parvint. Mais ce sont ses 6 romans situés dans le ghetto, racontant les déboires de l’homme noir, qu’il soit maquereau, arnaqueur, ou gangster à la recherche du rêve américain, qui ont assuré sa notoriété.
Né en 1918, à Chicago, dans le quartier de Southside, Slim fréquente brièvement l’université de Tuskegee avant de se trouver une occupation plus attirante, plus rémunératrice en tous cas. La belle vie, pour autant qu’elle peut durer. Voitures de sport, costumes sur mesure, femmes, drogue, beaucoup de drogues. Epuisé, Slim hérite d’une troisième peine de prison en 1960. Confiné à sept mois d’isolement dans une cellule de Chicago, il raconte : « Toute ma vie me réapparut, mais de manière limpide, je me rendais compte de ce à quoi elle aurait dû ressembler. J’aurais pu devenir médecin ou avocat, au lieu de cela j’avais consacré plus de la moitié de ma vie à une profession dangereuse et inutile. »
Le gâchis ne fut pas total. Derrière les barreaux, Slim commença à écrire l’histoire de sa vie. Ce n’était pas un récit de seconde main, ou un compte-rendu sociologique, mais un roman passionnant, drôle, excitant et terrible sur le monde solitaire dans lequel évolue le maquereau. Un livre manquant parfois de cohérence, un style par moment hésitant, mais tout cela n’avait aucune importance : Slim avait raconté l’univers de la rue tel qu’il était, et mené à bien son projet. Aujourd’hui, Pimp, mémoires d’un maquereau est un classique vendu à plus de 2 millions d’exemplaires dans le monde, même si en 1966, lorsqu’il le termina, Iceberg Slim se demandait si le roman allait trouver un éditeur.
Il le trouva après beaucoup d’efforts. Il s’agissait d’Holloway House, une obscure maison d’édition fondée en 1961 à Los Angeles, spécialisée dans les reportages croustillants sur Hollywood. Conscient de tenir avec Pimp un best-seller potentiel, Bentley Morris, le fondateur d’Holloway House, acheta une machine à écrire à Slim et retravailla son manuscrit avec lui, afin de lui donner toutes ses chances.

Le New York Times ne partagea pas cet enthousiasme, refusant même de passer une publicité pour le livre. Le bouche à oreille, et un engouement considérable dans le ghetto, assurèrent le succès de Pimp et firent de Slim le grand écrivain de l’expérience noire. Ce dernier revint, par la suite, plusieurs fois sur son passé : « Je comprends pourquoi le peuple noir doit, pour s’en sortir, voler, mais je n’arrive pas à croire que le crime est une solution viable. L’énergie et le talent exigés pour devenir un délinquant de réelle envergure pourraient être utilisés de manière bien plus positive. Si un maquereau parvient à contrôler neuf femmes, il peut tout aussi bien faire autre chose. »
Slim publia d’autres romans durant les dix années suivantes, qui détaillaient à chaque fois un aspect méconnu du monde de la pègre à Chicago. Dans Trick Baby, Slim raconte – à sa manière – les ficelles des arnaqueurs et Mama Black Widow relate la vie maudite d’un travesti. Les deux livres constituent, avec Pimp (en cours d’adaptation au cinéma avec Ice Cube dans le rôle-titre) une trilogie du ghetto unique dans la littérature noire américaine.
Début du livre « Elle était étendue près de moi. Il se faisait tard dans cette nuit de mars ; elle était nue et elle étouffait des larmes amères dans l’oreiller. Le grondement d’un énorme poids lourd dévalant State Street dans le lointain Southside de Chicago recouvrait presque ses paroles comme elle sanglotait : « Mais qu’est-ce que j’ai d’aussi moche, Otis ? Pourquoi t’as tant de mal à me faire l’amour ? Je suis trop grosse ? T’en aimes une autre ? Ouais, c’est ça, j’en suis sûre. Voilà pourquoi tu m’as pas épousée. » »
Extrait « L’instant d’après, comme j’installais mon magnétophone, le visage doré et lisse d’Otis redevint sérieux et il dit avec passion : « Iceberg, c’est pas pour le fric que je veux raconter mon histoire. Je le fais pour mon pauvre disparu de Papa, et pour moi ; je le fais pour les milliers d’hommes, des noirs comme lui, tous dans les chambres de torture du ghetto qui sont, et seront, négrifiés, émasculés par le pouvoir blanc, par ses flics, par tous ces dingues de la gâchette. » »
Extrait « Les prisons et les bas-fonds de l’Amérique grouillent de meilleurs chemins si leur enfance avait été différente. Mais trop de chaires dans nos églises noires sont occupées par des escrocs extravagants et des racketteurs, on y trouve également des ivrognes et des pervers sexuels qui corrompent les jeunes et jolies femmes de leur congrégation et en font leur proie. Tous sont traitres à leur religion, à leur race et aux jeunes générations. Le révérend Rexford doit partir ! »



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