📙 [Chronique] De purs hommes
De Mohamed Mbougar Sarr, aux éditions Livre de Poche, 2018
Roman
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Je retrouve avec plaisir l’écriture et le style magique de Mohamed Mbougar Sarr. Sa plume nous entraîne dans un ailleurs, à l’esthétique extrêmement travaillée. Les mots, pourtant, portent un récit lourd, puissant et bouleversant sur une introspection difficile et courageuse sur soi et sur sa véritable identité. Mohamed Mbougar Sarr qui m’avait enchanté avec La plus secrète mémoire des hommes, m’offre à nouveau le plaisir de lire un de ses textes.
Ndéné est un jeune professeur de lettres à Dakar. Au lit avec son amie, Rama, elle visionne son smartphone et lui demande s’il a vu la dernière vidéo qui fait le buzz sur les réseaux sociaux. Intrigué, il regarde cette vidéo particulièrement horrible. En effet, une foule en furie déterre le cadavre d’un homme sous les cris et des gestes obscènes. Une seule raison peut être à l’origine d’une telle sauvagerie, l’homme exhumé était un homosexuel.
C’est un drôle d’enquête que mène le héros du roman. Elle se déroule normalement pour trouver l’identité de « l’homme-femme » exhumé, le goor-jigéen, et s’éclaircit au fur à mesure des pages sur une autre recherche plus personnelle. C’est tout le talent de de Mohamed Mbougar Sarr, de brosser la condition des homosexuels au Sénégal, de parler de rumeur et de religion. Un texte fort et bouleversant.
❓Avez-vous apprécié La plus secrète mémoire des hommes ?
Début du livre « - Tu as vu la vidéo qui circule depuis deux jours ?
Je voulais m’endormir ivre de jouissance. C’était raté. Il faut toujours sur cette terre une voix charitable qui vous veuille le plus grand mal : vous ramener à la sobriété. Elle insistait : « Elle est dans presque tous les téléphones du pays. Il paraît même qu’une chaîne de télé l’a diffusée avant d’être interrompue… »
Extrait « Contrairement à bien d’autres, je n’éprouve aucun mépris pour les gens qui, ensemble, laissent libre cours à leurs émotions pures. J’aime les foules, les hommes dans les foules. J’en suis un. J’aime les grèves, j’aime les marches, j’aime les concerts, j’aime les cortèges funèbres ou heureux et les sabar, les prières collectives et les réunions politiques, les grands-messes et les enterrements. La foule réhabilité l’humaine condition, faite de solitude et de solidarité ; elle offre la possibilité d’un aparté avec tous les hommes. Dans la foule, on est quelqu’un et n’importe qui. »
Extrait « Il me regarda dans les yeux, fixement, comme s’il voulait par là me donner le preuve absolue de sa conviction. Il n’y avait aucun doute désormais : mon père était dans la parturition de sa vérité intime. Il était sorti du champ des généralités pour descendre en lui-même, et s’affronter, s’autopsier, découvrir et dire ce qu’il pensait vraiment. Ce travail lui avait beaucoup coûté, et je respectais son courage, car il en faut pour exposer ce qu’on pense, même à son fils. »
Extrait « Tout ce que je savais, c’était que lui, si orthodoxe et si dur, lui qui était prêt à me déterrer sans pelle ni pioche, de ses propres mains, si j’étais homosexuel et qu’on m’enterrait dans un cimetière musulman, lui, si rigoureux, avait jugé par d’autres trop permissif, trop laxiste sur la question homosexuelle. Sacré pays. »
Extrait « Au bout d’un temps très long, elle sortit provisoirement de son labyrinthe et me fixa. Je soutins avec peine son regard. Sur son visage, je vis aussi celui de ma mère, celui d’Adja Mbène, celui de toutes les mères. Mais celle-ci avait perdu son fils, à qui on avait refusé une sépulture. Sa voix retentit soudain, faible mais formidable dans le silence de la pièce. »
Extrait « Qu’est-ce au juste une rumeur ? L’illusion d’un secret collectif. Elle est une toilette publique que tout le monde utilise, mais dont chacun croit être le seul à connaître l’emplacement. Il n’y a aucun secret au cœur de la rumeur ; il n’y a que des hommes qui seraient malheureux s’ils ne pensaient pas en détenir un, ou détenir une vérité rare dont ils auraient le privilège. »
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