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📙 [Chronique] L’Œuvre au noir

De Marguerite Yourcenar, aux éditions Folio, 1968


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[COUP DE CŒUR] Pour débuter, il faut tout de même dire que ce livre est extrêmement exigeant car il demande au lecteur une attention soutenue dans sa lecture. En premier lieu, pour apprécier l’écriture et le style de Yourcenar mais aussi se référer régulièrement à des connaissances historiques. Toutefois, la plume est tellement belle et les digressions philosophiques tellement pertinentes que finalement reste le plaisir de la lecture. Sachez que le récit se déroule dans les années 1500, les guerres de religions font rage en Europe, mêlant conflits sociaux et critiques violentes de l’église catholique.


Dans cette époque tourmentée de guerres de religions, Zénon est un esprit libre. Il parcourt l’Europe et s’intéresse à la médecine mais aussi aux techniques, à l'astronomie et l’alchimie. Mais c’est surtout dans un voyage initiatique que Zénon nous entraine en recherche de sagesse et de savoir. Avec lui, on traverse une époque dont les repères sont en pleine mutation, mais même si certaines paroles se font entendre, les débats restent à mots couverts. La « justice » est prompte à réprimer tout écart avec la « vérité » du moment et avec la morale. Zénon n’est jamais loin des flammes divines.


Mais qui est l’alchimiste dans ce roman ? Zénon qui cherche et s’interroge pour aboutir au Grand Œuvre ou Margueritte Yourcenar, qui transforme près de 500 pages en grande œuvre de la littérature française. Et même si, la culture me manque pour apprécier l’entièreté du texte à sa juste valeur, de simples passages sont souvent magiques et révèlent le génie de l’auteure. A découvrir ou à relire.



Début du livre « Henri-Maximilien Ligre poursuivait par petites étapes sa route vers Paris.

Des querelles opposant le Roi et l’Empereur, il ignorait tout. Il savait seulement que la paix vieille de quelques mois s’effilochait déjà comme un vêtement trop longtemps porté. »


Extrait « Plus tard encore, des gens revenus de longs voyages et de plus longs mensonges prétendirent l’avoir vu dans le pays des Agathyrses, chez les Barbaresques, et jusqu’à la cour du Grand Daïr. Une nouvelle recette de feu grégeois, employée à Alger par le pacha Khéreddin Barberousse, endommagea gravement, vers 1541, une armadille espagnole ; on mit à son compte cette invention funeste, qui disait-on, l’avait enrichi. »


Extrait « Un tri s’opère de la sorte parmi nos lecteurs ; les sots nous croient ; d’autres sots nous croyant plus sots qu’eux, nous quittent ; ceux qui restent se débrouillent dans ce labyrinthe, apprennent à sauter ou à contourner l’obstacle du mensonge. Je serais bien surpris si non ne retrouvait pas jusque dans les textes les plus saints les mêmes subterfuges. Lu ainsi, tout livre devient un grimoire.

- Vous vous exagérez l’hypocrisie des hommes dit le capitaine en haussant les épaules. La plupart pensent trop peu pour penser double. »


Extrait « A vingt ans, il s’était cru libéré des routines ou des préjugés qui paralysent nos actes et mettent à l’entendement des œillères, mais sa vie s’était passée ensuite à acquérir sou par sou cette liberté dont il avait cru d’emblée posséder la somme. On n’est pas libre tant qu’on désire, qu’on veut, qu’on craint, peut-être tant qu’on vit. »


Extrait « L’habituelle fourche patibulaire se dressait hors du bourg, sur un petit mamelon herbu, mais le corps qui pendait là avait été si longtemps exposé à la pluie, au soleil et au vent qu’il avait presque acquis la douceur des vieilles choses à l’abandon ; la brise jouait amicalement avec ses loques aux couleurs fanées. »


Extrait « - J’ai vécu octante ans sans me douter jusqu’où allait la malignité des juges, dit avec indignation le chanoine. Hiéronymus van Palmaert se réjouit qu’on vous mande explorer vos mondes infinis, et Le Cocq, cet homme de boue, propose par moquerie qu’on vous envoie combattre Guillaume de Nassau sur un bombardier céleste.

- Il a tort de rire. Ces chimères se réaliseront le jour où l’espèce s’y acharnera comme à bâtir ses Louvres et ses églises cathédrales. Il descendra du ciel, le Roi des Frayeurs, avec ses armées de sauterelles et ses jeux d’hécatombe… O bête cruelle ! Rien ne restera sur terre, sous terre ou dans l’eau qui ne soit persécuté ou détruit… Ouvre-toi, gouffre éternel, et engloutis pendant qu’il est temps encore la race effrénée… »

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