📙 [Chronique] La mort immortelle
De Liu Cixin, aux éditions Babel, 2010
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[COUP DE CŒUR] C’est très difficile de parler de ce roman sans évoquer les deux tomes précédents qui sont aussi de véritables chefs d’œuvre de la science-fiction. Cette trilogie constitue un des meilleurs cycles que j’ai lus à l’instar de Fondation d’Asimov ou Metro de Glukhovsky. Liu Cixin réussit dans près de 1000 pages à nous retenir, nous captiver et nous étonner par la brillance de son texte. Et malheureusement, au bout de ces centaines de pages de cette épopée interstellaire, quand arrivent les derniers chapitres, on se dit, mince c’est déjà terminé.
L’Ere de la dissuasion de la Forêt sombre permet à la civilisation terrienne de s’épanouir et faire des bonds technologiques grâce aux échanges avec la civilisation trisolarienne. Pourtant cet équilibre dissuasif est toujours très précaire et certains terriens se méfient encore beaucoup des extraterrestres. Durant les siècles qui se succèdent, les plus grands thèmes de la science-fiction vont être développés par Liu Cixin, conquête interplanétaire, voyages interstellaires, stations spatiales, vitesse de la lumière, trous noirs et fin de l’univers. Autant, d’explorations physiques et métaphysiques qui font de la trilogie une fable technologique et romantique.
Romantique, en effet, car malgré la complexité des théories physiques qui sous-tendent ce roman de hard SF, il y a de la poésie. Et c’est en cela la force de cette trilogie, Liu Cixin est toujours en recherche d’esthétique, autant dans le texte lui-même que dans les décors imaginés. Tel un conte, les chapitres s’enchaînent avec une délicate harmonie. Pour finir, ce conteur de génie doit être aussi accompagné par un traducteur de grand talent pour restituer un texte aux concepts physiques très compliqués et la grâce magique des phrases.
Début du livre « A l’heure de rédiger cet ouvrage, j’aurais pu choisir le terme « d’histoire » mais, ne pouvant me fier qu’à mes propres souvenirs, il y aurait manqué la rigueur dont doit faire preuve tout historien qui se respecte.
Le mot « Chroniques » n’est d’ailleurs guère plus approprié, car les événements relatés ici n’appartiennent ni au passé, ni au présent, ni au futur. »
Extrait « Pour faire comprendre à ses élèves ce qu’étaient le nazisme et le totalitarisme, ce Ron Jones a créé une simulation de la société totalitaire dans sa propre classe. Au bout de cinq jours seulement, l’expérience de Jones avait réussi. La classe était devenue un Troisième Reich miniature. Chaque élève avait, de plein gré, choisi d’abandonner son individualité et sa liberté pour se fondre dans un collectif absolu. Puis la quête d’une communauté suprême est devenue parmi les élèves aussi fanatique que si c’était une religion. »
Extrait « Le modèle ancien de la théorie de la forêt sombre avait toujours pris pour bas de réflexion les systèmes planétaires, car on était persuadé que les attaques menées contre les systèmes dont les coordonnées avaient été dévoilées proviendraient d’autres planètes. Mais la situation devenait plus complexe à présent que l’on savait que des vaisseaux pouvaient eux-mêmes être à l’origine d’une offensive de ce type, car il était impossible de les localiser. A l’exception de la flotte trisolarienne, l’humanité n’avait absolument pas connaissance d’autres vaisseaux construits dans l’Univers par des espèces intelligentes tierces. Leur nombre, leur densité dans l’espace, leur vitesse, leur direction de navigation… L’humanité était dans le flou total, et cela multipliait les origines possibles des attaques de la forêt sombre, et les rendait d’autant plus imminentes. Au-delà du système trisolarien, l’étoile la plus proche du système solaire était située à si années-lumière, mais des vaisseaux extraterrestres fantômes pouvaient en ce moment même côtoyer le Soleil. Le dieu de la Mort, qu’on imaginait aux confins du ciel, était effroyablement proche. »
Extrait « Lors de l’Ere Commune, un très grand nombre d’hypothèses ambitieuses avaient été proposées pour naviguer dans l’espace. L’une d’elles suggérait de plier l’espace. L’idée consistait à élargir la courbure et la plier en deux, comme on plierait une feuille de papier, afin que les deux extrémités de la « feuille » - c’est-à -dire des régions à l’origine distantes de plusieurs millions d’années-lumière – se touchent. Ce procédé ne pouvait pas à proprement parler être qualifié de « navigation spatiale », mais plutôt de « halage spatial », car on ne « voyageait » pas vers sa destination, on « attirait » la destination à soi grâce à une déformation de l’espace. »
Extrait « - Oh oui, mon enfant. Oui, j’en suis sûr. Je n’avais que quarante ans quand je suis tombé gravement malade durant l’Ere Commune, mais je suis resté parfaitement tranquille, je n’ai pas prévu de me faire hiberner. Ce sont les médecins qui m’ont hiberné à mon insu, pendant que j’étais dans le coma. Je me suis réveillé à l’Ere de la Dissuasion. J’ai d’abord cru que je m’étais réincarné, puis j’ai compris que l’éternité, ça n’existait pas. La mort m’attendait juste un peu plus loin… Cette nuit où j’ai eu fini de construire mon phare, quand je l’ai regardé au loin briller sur la mer, tout est devenu clair : la mort est le seul phare qui reste à jamais allumé. Peu importe où tu navigues, tu finis toujours par te rendre dans la direction qu’il t’indique. Tout a une fin. Seule la mort est immortelle. »
Extrait « En entendant sa voix, Cheng Xin le va la tête. Elle vit que les yeux de Luo Ji n’étaient pas dirigés vers le tableau, mais qu’il regardait droit devant lui, comme s’il fixait les abysses du temps. Elle ne sut si c’était une illusion, mais elle crut voir des larmes scintiller dans les profondes cavités de ses yeux.
Dans l’immense tombeau du sous-sol de Pluton, sous une lumière blafarde qui devait briller pendant cent mille ans, le sourire de Mona Lisa jouait avec les ombres. Ce sourire avait dérouté les hommes pendant neuf siècles et, en cet instant, il paraissait plus mystérieux et plus insaisissable encore, comme s’il contenait en même temps tout et rien, comme le dieu de la Mort approchant. »
Extrait « nous savons maintenant que l’itinéraire de chaque civilisation est le suivant : elle s’éveille dans un berceau étroit ; elle en sort, d’un pas mal assuré ; elle s’envole, de plus en plus vite, de plus en plus loin, et elle finit par se fondre avec le destin de l’Univers.
L’ultime métamorphose de toute civilisation intelligente consiste à devenir aussi grande que ses pensées. »
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