📙 [Chronique] La vérité sur « Ils étaient dix »
De Pierre Bayard, aux éditions de Minuit, 2019
Essai
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En voici un livre très intéressant. Un personnage de fiction s’extraie d’un roman pour démontrer que l’autrice d’un des romans à énigmes les plus célèbres du monde a trompé des millions de lecteurs. Le pari est relevé par Pierre Bayard mais il est osé face à l’icône « Agatha Christie » et au monument « Ils étaient dix » (Dix petits nègres). Ce roman, lu il y a déjà quelques années est aussi un pari de la part d’Agatha Christie, comment 10 personnes sont assassinées sur une île coupée du continent sans que le meurtrier ne puisse l’atteindre ni en partir. L’auteur en fait une démonstration brillante et détonante, ce qui m’a poussé à acheter un autre de ses ouvrages.
Cet essai de Pierre Bayard se présente comme le décorticage du roman d’Agatha Christie réalisé par un des dix qui souhaite révéler la vérité, différente de celle de l’auteur. En étudiant point par point les personnages, les informations et les faits, le narrateur expose les erreurs d’interprétation d’Agatha Christie et donc des enquêteurs. Il en conclut à un aveuglement collectif qui conduit à des biais et des illusions de réalité. On s’embarque rapidement dans cette contre-enquête à la conclusion étonnante.
❓Appréciez-vous les romans à énigmes ?
Début du livre « Ce livre est un roman policier.
Il est donc fortement déconseillé aux lecteurs de feuilleter les dernières pages, qui donnent le nom de la (du) meurtrier(e) de l’île du Nègre, resté(e) impuni(e) pendant près d’un siècle. »
Extrait « Après avoir montré que le roman d’Agatha Christie laissait ouvertes d’autres hypothèses que la version officielle, je voudrais maintenant en situer l’intrigue dans un cadre plus général, celui des problèmes de chambre close, dont la connaissance approfondie a déterminé mon action.
Cette mise en perspective constitue pour moi un préalable fondamental si je veux montrer au chapitre suivant pourquoi la solution généralement acceptée par les lecteurs, qui repose entièrement sur l’authenticité de la lettre du juge Wargrave, ne peut sérieusement être retenue. »
Extrait « Mais je n’ai rencontré nulle-part, y compris chez les meilleurs auteurs, un facteur qui me paraît pourtant devoir retenir toute l’attention du criminel en chambre close, à savoir l’élégance de la solution.
Cette notion d’élégance est couramment utilisée dans les domaines comme le jeu d’échecs ou les mathématiques, où elle qualifie des solutions qui frappent par leur simplicité et une forme de beauté quasiment esthétique. Elle l’est moins à ma connaissance dans le domaine du meurtre, où elle mériterait d’être réhabilitée. »
Extrait « Ce n’est pas sans raison que j’ai choisi d’organiser cette série de meurtres autour d’une comptine enfantine, c’est-à-dire de la matrice même de tous les grands récits qui organisent nos vies. Outre qu’elle conférait un ordre et une logique aux disparitions successives, cette comptine s’adressait directement à cette part de nous-mêmes venue de l’enfance qui a le plus besoin de croire en un ordre supérieur régissant l’univers et nous préservant de l’inconnu et du hasard. Et il n’est donc pas étonnant qu’elle ait si bien fonctionné. »
Extrait « La vérité, nous allons le voir, est beaucoup plus prosaïque que le roman d’aventures inséré dans la lettre du juge. Je ne suis pas atteint(e) de folie meurtrière, je n’ai jamais conçu le projet esthétique de mettre à mort gratuitement dix personnes qui ne m’avaient rien fait (drôle d’idée…) et j’aurais même préféré, si cela avait été envisageable, en tuer le moins possible. Mais il fallait bien dissimuler la vérité sur ces crimes, et la passion des êtres humains pour les belles histoires a fait le reste. »
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