📙 [Chronique] Nuits Appalaches
De Chris Offutt, aux éditions Gallmeister, 2018
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Voici un roman qui se lit et trop vite. Mais que rajouter de plus au texte d’Offutt sans dénaturer son style simple et efficace. Il nous entraine dans un roman noir, fort et dur, qui traduit des brutalités sociales. On y parle d’amour et de compassion et soudain c’est la violence qui se déchaine sans filtre. Il s’agit à chaque chapitre de survie, face aux ennemis, face à la malchance, face aux hommes sans foi ou face aux décisions sans états d’âme des organismes sociaux. Demeure toujours la lumière au fond du tunnel, l’espoir de vivre des moments heureux. A lire.
Tucker revient de la guerre de Corée. Parce qu’il provoque la chance en étant malin, il revient entier physiquement et psychologiquement. Il n’a que 18 ans quand il parcourt à nouveau les Appalaches, pour rentrer chez. Sur son chemin, il est témoin d’une tentative de viol, et sauve alors Rhonda encore mineure. Ils décident de immédiatement de partir ensemble, de ne plus jamais se quitter et d’avoir des enfants. Malgré 5 enfants, et un boulot illégal, ils vivotent heureux dans leur maison isolée de tout. Pourtant, cette famille sera confrontée à ceux qui ignorent ce besoin de vivre tranquille.
Un excellent roman récompensé, à juste titre, par deux prix. Le style fait de phrases courtes et incisives qui frappent l’estomac comme des coups de poing. On sent la fragilité des êtres dont l’amour de leurs enfants est le moteur de vie mais aussi un pourvoyeur de mort. Car ce sentiment profond et indéfectible pour la chair de sa chair provoquera sacrifice et malheur. Une merveille de roman noir.
Début du livre « Tucker marchait depuis six heures dans la brume rampante dont les vagues chatoyaient au petit matin. Un véhicule passa devant lui : un fermier avec une cargaison de bois de chauffage, deux enfants renfrognés et une femme maigre qui tenait un bébé dans ses bras. Tucker savait qu’ils n’allaient pas le prendre. Il ne pouvait pas en vouloir à cet homme funeste au chapeau rabattu sur les yeux à cause du soleil, une cigarette coincée entre les dents. Le pauvre avait déjà assez de soucis. »
Extrait « La voiture du flic s’est avancée sur le pont et elle s’est arrêtée juste derrière moi. Il est sorti, et j’avais jamais vu un type aussi grand. Une sorte de géant. Il s’est allumé une cigarette et il m’a regardé un moment. Je savais que je risquais rien du point de vue de la loi, mais d’homme à homme, c’était une autre affaire. Il aurait pu me botter le cul tellement fort que j’aurais dû enlever ma chemise pour aller chier. Mais ce qu’il a fait, c’est qu’il s’est penché à ma fenêtre et il m’a dit qu’ils avaient un nouveau système qui s’appelait la direction à crémaillère et qui m’empêcherait de finir dans le fossé. Je lui ai demandé ce que ça pouvait bien lui faire, et il m’a dit qu’il avait cru que j’en échapperais pas, dans le virage. Son boulot, c’était d’arrêter les coursiers, mais il voulait pas que quelqu’un meure à cause de lui. »
Extrait « - Il a dit qu’à deux dans une cellule, y en avait un qui était le mari et l’autre la femme. Que c’était au nouveau de choisir s’il était le mari ou la femme.
Tucker cessa de parler et attendit, sachant qu’il n’aurait pas à attendre longtemps pour que Jimmy pose la question évidente. Ce qui prit moins de dix secondes.
- T’as choisi quoi ? demanda Jimmy.
- Je lui ai dit que je préférais autant être le mari.
- Sans blague. Qu’est-ce qu’il a fait ?
- Ben, il m’a regardé pendant une minute. Et puis il a dit, Très bien, dans ce cas, viens faire connaissance avec la quéquette de ta femme.
- Qu’est-ce que t’as fait ?
Tucker souffla un nuage de fumée et plissa les yeux quand le vent le lui renvoya en pleine face. La cigarette se consumait plus vite du côté de la vitre et il tapota un peu de salive dessus.
- La question, Jimmy, c’est qu’est-ce que toi, t’aurais fait ? »
Extrait « - Fiston, y a toutes sortes de gens en prison. Des gentils et des méchants. La plupart sont juste malchanceux.
- Tétais quoi, toi ?
- Un peu des tris, donc au milieu. Comme la majorité des gens.
- Entre gentil et méchant ?
- C’est ça.
- Comment peut-on être au milieu, pour la chance ?
- Tout le monde est au milieu, le plus souvent. Les gens savent à quel point ils ont de la chance jusqu’au moment où ils en ont plus. »
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