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📙 [Chronique] Oui mon commandant !

D'Amadou Hampâté Bâ, aux éditions Babel, 1994


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[Coup de cœur] Suite d’Amkoullel, l’enfant peul, ces mémoires se dégustent comme une sucrerie, on souhaiterait que cela ne se termine jamais. Dès les premières phrases, Amadou Hampâté Bâ embarque le lecteur sous le soleil de la Haute Volta dans les années 1920. Les traditions, les contes, la parole des sages africains sont des délices portés par une écriture juste mais aussi magique. Pourtant, les africains subissent le joug d’une Europe colonialiste qui, sous l’influence des sociétés commerciales, commencent dès le début du siècle dernier une exploitation forcenée des peuples et des terres. Dans ces années-là, l’heure n’est pas encore à la révolte mais l’Afrique commence à ouvrir les yeux. A lire absolument.


Amkoullel a désormais 22 ans et entame une carrière de fonctionnaire dans l’administration coloniale de Haute-Volta (futur Burkina-Faso). Lors différentes affectations et les rencontres, plus ou moins heureuses, qu’il fait auprès des administrateurs français et personnalités africains, il acquiert une certaine sagesse. Il va devenir le collecteur insatiable des contes et récits oraux dont il deviendra la mémoire. Ces histoires vécues et racontées fournissent les éléments incroyables de cet ouvrage.


Ce que j’ai apprécié le plus, c’est l’immense sagesse qui ressort de ce texte. Tout au long chapitres, Amkoullel, évolue et nous fait grandir grâce à ses rencontres, dans sa quête de savoir humain et spirituelle. Un très beau livre vrai, authentique, fin et plein d’humour. Un tableau fascinant sur une Afrique riche d’enseignements immémoriaux.


Quel roman africain vous a le plus enthousiasmé ?


Amadou Hampâté Bâ, est né en 1900 ou 1901 à Bandiagara, au Mali, et mort le 15 mai 1991 à Abidjan, en Côte d’Ivoire. C’est un écrivain et ethnologue malien, défenseur de la tradition orale, notamment peule. Le 18 novembre 1960, il lance lors de l'assemblée générale de l'UNESCO son appel : « En Afrique, quand un vieillard traditionaliste meurt, c'est une bibliothèque inexploitée qui brûle. » Cette formule devient proverbiale. Il est membre du Conseil exécutif de l'UNESCO de 1962 à 1970. Il est aussi appelé le « Sage de l'Afrique » et le « Sage de Marcory ».




Début du livre « Portée par le courant, la pirogue avançait rapidement vers l’est, sur les eaux du grand fleuve qui semblait s’ouvrir en deux devant elle. Les eaux étaient si claires qu’on y voyait évoluer les poissons jusque sur le fond, comme dans un aquarium. Derrière nous, à l’ouest, le panorama de Koulikoro s’estompait. »


Extrait « je vis ce qu’était devenue ma vie et j’eus honte de moi-même. Je constatai mon erreur avec lucidité et me condamnai sans faiblesse. « Je dois tenir mes engagements, me dis-je. Il me faut devenir un vrai musulman, et cesser de n’être qu’un musulman de naissance, un musulman par le nom et non par la conscience. »

Malgré la pluie, je sortis pour aller faire mes ablutions rituelles au-dehors. Je revins tout trempé. Je changeai mes vêtements et me mis à prier et à méditer jusqu’au petit matin. Ce fut la nuit de ma vraie conversion. »

Extrait « A partir de ce jour, les filles de Ouagadougou me laissèrent en paix. Pour elles, j’étais devenu un fonctionnaire pas tout à fait comme les autres : « le fonctionnaire marabout ». Plutôt que de me proposer leurs charmes, elles venaient me demander des prières ou des conseils. Je prenais très au sérieux cette qualité de marabout qu’on me prêtait, et que je préférais de beaucoup à celle de « commis expéditionnaire ». La preuve ? Je marchais, parlais, mangeais, regardais, riais et m’habillais comme je l’avais vu faire aux grands marabouts. En un mot, je les singeais avec beaucoup de sérieux et d’application. A l’époque, Tierno Bokar ne m’avait pas encore suffisamment pris en main ; je n’avais pas appris à faire la différence entre « paraître » et « être ». »


Extrait « Je ne sais comment son dossier, mis de côté par le gouverneur pour signature, se trouva oublié au milieu d’autres papiers. Après avoir attendu un certain temps sa décision d’affectation, l’administrateur Saride, qui m’avait rencontré au bureau, vint me trouver et me demanda comme un service personnel d’essayer de « sortir » son dossier et de hâter les choses. J’eus la chance d’y parvenir, ce qui me valut, le jour de son départ, un « Merci bien, mon ami ! » accompagné d’un sourire et d’un énergique serrement de main. Une telle attitude n’étant guère courante de la part des « dieux de la brousse » envers un modeste employé indigène, j’en restai un peu éberlué, mais plutôt content. Je ne me doutais point de la sombre affaire à laquelle serait mêlé plus tard cet administrateur si aimable, et du rôle que j’aurais à y jouer. »


Extrait « Mon commandant, répondis-je, je suis profondément ému par la bonté de votre intention. Je sais que, si vous le voulez, vous pouvez me faire nommer chef de la province de Louta. Malheureusement, il m’est impossible de briguer cette place, et cela pour deux raisons. D’abord, l’ancien chef de la province, mon père adoptif Tidjani Amadou Ali Thiam, est encore vivant ; il réside chez moi, à Bandiagara. Je ne puis prendre sa place alors qu’il encore de ce monde et jamais le gouvernement de Haute-Volta ne consentira à lui redonner son poste. Ensuite, mon maître et père spirituel Tierno Bokar, de Bandiagara, m’a recommandé de servir les hommes avec dévouement, mais de ne pas chercher à les commander ; et je me suis promis de faire de son conseil ma devise. »

Extrait « Depuis, les situations se sont modifiées, mais, hélas, les règles qui président aux échanges internationaux restent les mêmes dans leurs grandes lignes : acheter le moins cher possible les matières premières, et revendre le plus cher possible les produits manufacturés. La colonisation économique n’a fait que prendre un autre visage. Tant que l’on ne se suffit pas à soi-même, on reste nécessairement l’esclave de son approvisionneur. »


Extrait « Que ce soit la dernière fois que tu tombes dans ce travers ! Le besoin de critiquer est comme une maladie, et une maladie contagieuse. Prends dans l’administration ce qu’elle a de bon, et ce que tu crois ne pas être bon, laisse-le-lui ; ce sera toujours bon pour elle, pour des raisons que tu ne connais pas. Cela vaut aussi pour les individus ; considère leurs qualités, prends en eux ce qu’ils ont de bon, et quant à leurs défauts, laisse-les-leurs. C’est leur affaire et non la tienne. »


Extrait « Pour lui, l’ensemble des conflits humains reposait sur quatre causes essentielles : la sexualité, l’appât du gain, le souci de préséance (« Ote-toi de là que je m’y mette ! ») et la mutuelle incompréhension, compagne de l’intolérance. Il voyait dans l’incompréhension et l’intolérance le père et la mère de toutes divergences humaines : « On se parle, mais on ne se comprend pas, parce que chacun n’écoute que lui-même et croit détenir le monopole de la vérité. Or quand tout le monde revendique la vérité, à la fin personne ne l’aura. » »

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