📙 [Chronique] The visitants
De Randolph Stow, aux éditions Au vent des îles, 1979
Roman
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Voici un étrange voyage proposé par Babelio et les éditions Au vent des îles, je les en remercie. Etrange, car le texte devient assez rapidement envoutant, peut-être cela est dû au principe particulier de la narration, à l’atmosphère envoutante, aux personnages très singuliers. Quoi qu’il en soit le sentiment d’être hypnotisé est là. Dans cette Papouasie, colonie australienne de la fin des années 50, le monde de l’homme blanc est encore entouré de mystère pour le papou. Pourtant, on sent percer les premiers signes qui mèneront certainement à l’indépendance.
Au-delà de l’écriture, Randolph Stow, a une belle idée, faire raconter des faits par différents individus, mais il touche au génie quand ces points de vue sont apportés par le colon et le colonisé. Cinq témoignages vont se croiser sur les journées qui précédent le décès d’Alistair Cawdor, un officier, représentant le gouvernement sur l’île de Kailuana. Les cinq personnages, un planteur blanc, Saliba sa domestique, l’élève officier Dalwood, l’interprète officiel Osana et Benoni, l’ambitieux papou héritier de l’île, vont être auditionnés.
Dès le début du roman, une ambiance moite et oppressante imprègne le lecteur jusqu’au trouble entre réalité et mythe. Randolph Stow, décrit avec des passages magnifiques l’environnement naturel de ces îles et aussi subtilement les caractères des personnages. Même si le roman n’est pas forcément facile à appréhender dès le début, avec des textes comportant des termes papous, on se laisse porter par la musique des mots.
Enfin, qui sont ces mystérieux visiteurs qui hantent les îles, des hommes des étoiles, les hommes blancs ou des fantômes ? Sans la proposition de Babelio et des éditions Au vent des îles, je n’aurais pas découvert cette œuvre totalement hors normes.
❓Connaissez-vous d’autres romanciers australiens ?
Début du livre « SALIBA
Et il a hurlé : La maison saigne. Il n’y a personne dedans. Mais j’ai dit : Non, des, ça ne pouvait pas être comme ça. Une maison est solide, j’ai dit, elle a son propre temps. Tu verras, k’ai dit, tu verras comme une maison dure.
Je pensais à cette maison-ci, et aux pièces du fond, où les voix entrent et puis on n’entend plus rien, et pourtant elles sont là. »
Extrait « C’était seulement les yeux. Dieu sait qu’il n’avait pas grand-chose de plus pour lui. Une crevette d’homme d’âge moyen, avec une tignasse de boucles noires, en vieux short de l’armée si élimé qu’on pouvait voir le cache-sexe en fourreau d’aréquier qu’il portait en deuxième ligne de défense. Mais tellement immobile, comme s’il n’avait pas bougé depuis des heures. Et quand il a ouvert la bouche et que j’ai vu la noix de bétel sur ses dents et su qu’il allait me parler, j’ai eu très peur un instant, comme on peut avoir peur des bruits de la nuit même si on sait qu’on croit pas aux esprits. »
Extrait « - Taubada, a dit Benoni, tant que mon oncle est en vie, il parle. Tant que tu es en vie, tu parles. Quand viendra le temps où tu n’existeras plus, où mon oncle n’existera plus, vous deux, vous ne parlerez plus. Si les gens veulent un chef, il y aura un chef. S’ils veulent un roi dimdim, il y aura un roi. Les villages n’entendent pas les hommes morts. »
Extrait « Un souffle de vent a balayé la coursive au moment où je me détournais de la porte, apportant avec lui tous les parfums du matin : la mer et l’herbe, les poules et les fleurs de frangipanier, les feuilles qui dégagent toutes les odeurs possibles entre foin et vanille. Sur la véranda, j’ai empli mes poumons de cette senteur sucrée-salée de l’île après l’aube. J’ai pris ma place à la table au bord de la véranda et cherché des yeux en contrebas, à travers les rudes feuilles d’un papayer claquant au vent, le lagon étincelant et l’igau immaculé qui allait nous emmener à travers toute cette fraîcheur vers une fraîcheur renouvelée. »
Extrait « Je me suis avancé et j’ai levé les yeux vers la croix. C’était pas du tout une croix. C’était un avion, sculpté dans l’ébène, un avion à l’air de requin patibulaire.
A l’intérieur, suspendus par des cordes à toutes les poutres, des avions tournaient dans la brise légère. Des avions de toutes tailles, peints de couleurs vives ou gravés de motifs rehaussés à la chaux sur le bois poli. Il y avait des avions brillants, aussi, fabriqués avec des boîtes de conserve, et d’autres petits et rudimentaires en laiton. J’ai repensé aux vieilles munitions entourant la plate-bande de Dipapa et Osana disant : Et puis leur cargo leur a fait boum dans la figure. »
Extrait « A travers la masse des corps filtrait une musique rapide, forte, déroutante, qui était produite, cela s’entendait, par des gens qui ne s’écoutaient pas les uns les autres mais s’entendaient seulement eux-mêmes : chacun son tambour, chacun sa flûte à plusieurs roseaux ou sa psalmodie pour soi-même de ces très vieux chants dont personne ne comprend plus les paroles. C’était un son de gens très affamés et très seuls. De temps à autre on percevait le son bas et caverneux d’une conque. »
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