đ [Chronique] Une rencontre
De Milan Kundera, aux Ă©ditions Folio, 2019
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En lisant Kundera, je ne pourrais jamais mâarrĂȘter de prendre des notes ou de faire des annotations, tellement ce quâil Ă©crit me parle. Dans cet essai, Kundera nous entraine au fil de ses rencontres entre ses rĂ©flexions et ses souvenirs. Il parle dâart et dâesthĂ©tisme Ă travers les romanciers, les musiciens et les rĂ©alisateurs quâil admire. Il dĂ©fend sa passion du roman en tant quâexpression artistique, au-delĂ du message.
Ainsi, en 9 chapitres, Milan Kundera nous invite Ă dĂ©couvrir les Ćuvres des artistes dont il Ă©voque les rencontres ou les souvenirs. Sa puissance de persuasion est telle que lâon ne peut que noter les rĂ©fĂ©rences et dĂ©couvrir les Ćuvres et les auteurs qui lâont enthousiasmĂ©. Il nous propose donc des rencontres, et il ne tient quâĂ nous de rĂ©pondre Ă cette invitation.
âQuelle est votre rencontre artistique la plus marquante ?
DĂ©but du livre « ⊠rencontre de mes rĂ©flexions et de mes souvenirs ; de vieux thĂšmes (existentiels et esthĂ©tiques) et de mes vieux amours (Rabelais, Janacek, Fellini, MalaparteâŠ)⊠»
Extrait « Quâest-ce qui nous reste quand on est descendu jusque-lĂ ?
Le visage ;
le visage qui recĂšle « ce trĂ©sor, cette pĂ©pite dâor, ce diamant cachĂ© » quâest le « moi » infiniment fragile, frissonnant dans un corps ;
le visage sur lequel je fixe mon regard afin dây trouver une raison pour vivre cet « accident dĂ©nuĂ© de sens » quâest la vie. »
Extrait « Je comprenais que lâagitation sentimentale (dans la vie privĂ©e de mĂȘme que publique) nâest pas en contradiction avec la brutalitĂ© mais quâelle se confond avec elle, quâelle en fait partie⊠»
Extrait « Pour le non-initiĂ©, pour le propriĂ©taire dâesclaves, le monde africain de la nuit pouvait apparaĂźtre comme un monde de faux-semblants, un monde puĂ©ril, un carnaval. Mais pour lâAfricain [âŠ] câĂ©tait lĂ le seul vrai monde ; qui changeait les hommes blancs en fantĂŽmes et faisait de la vie de la plantation une simple chimĂšre. »
Extrait « De prime abord, Solibo Magnifique pourrait apparaĂźtre comme un roman exotique, local, concentrĂ© sur le personnage, inimaginable ailleurs, dâun conteur populaire. Erreur : ce roman de Chamoiseau traite de lâun des plus grands Ă©vĂ©nements de lâhistoire de la culture : la rencontre de la littĂ©rature orale finissante et de la littĂ©rature Ă©crite naissante. En Europe, cette rencontre a eu lieu dans le DĂ©camĂ©ron de Boccace. »
Extrait « Sur tous les tableaux de Breleur, la lune, en forme de croissant, est en position horizontale, avec ses deux extrĂ©mitĂ©s pointĂ©es vers le haut, comme une gondole flottant sur les vagues de la nuit. Ce nâest pas une fantaisie du peintre, telle est vraiment la lune Ă la Martinique. En Europe, le croissant est debout : combatif, semblable Ă un petit animal fĂ©roce qui est assis, prĂȘt Ă sauter, ou bien, si vous voulez, semblable Ă une faucille parfaitement aiguisĂ©e ; la lune en Europe, câest une lune de guerre. A la Martinique, elle est paisible. »
Extrait « Jâai gardĂ© de nos rencontres [avec Aragon] lâimpression que la raison la plus profonde de sa rupture avec les surrĂ©alistes Ă©tait non pas politique (son obĂ©issance au parti communiste) mais esthĂ©tique (sa fidĂ©litĂ© au roman, lâart « dĂ©criĂ© » par les surrĂ©alistes) et il me semblait avoir entrevu le double drame de sa vie : sa passion pour lâart du roman (peut-ĂȘtre le domaine principal de son gĂ©nie) et son amitiĂ© avec AndrĂ© Breton (aujourdâhui, je le sais : Ă lâĂšre du bilan, la plaie la plus douloureuse est celle des amitiĂ©s cassĂ©es ; et rien nâest plus bĂȘte que de sacrifier une amitiĂ© Ă la politique.) »
Extrait « Câest au temps de cette derniĂšre pĂ©riode que Fellini a violemment affrontĂ© Berlusconi en sâopposant Ă sa pratique de laisser interrompre les films, Ă la tĂ©lĂ©vision, par de la publicitĂ©. Dans cet affrontement, jâai distinguĂ© un sens profond : vu que le spot publicitaire est aussi un genre cinĂ©matographique, il sâagissait lĂ de lâaffrontement entre deux hĂ©ritages des frĂšres LumiĂšre : lâaffrontement entre le film en tant quâart et le film en tant quâagent dâabĂȘtissement. On connaĂźt le rĂ©sultat : le film en tant quâart a perdu. »
Extrait « Au XIXe siĂšcle, cela allait de soi : tout ce qui se passait dans un roman, il fallait que ce fĂ»t vraisemblable. Au XXe siĂšcle, cet impĂ©ratif a perdu sa force ; depuis Kafka jusquâĂ Carpentier ou Garcia Marquez, les romanciers sont devenus de plus en plus sensibles Ă la poĂ©sie de lâinvraisemblable. Malaparte (qui nâĂ©tait pas un amoureux de Kafka et ne connaissait ni Carpentier ni Garcia Marquez) a succombĂ© lui aussi Ă la mĂȘme sĂ©duction. »
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