📙 Kerozene
D’Adeline Dieudonné, aux éditions L'Iconoclaste, 2021
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Voilà un roman étonnant et détonnant. Alice Dieudonné nous entraîne dans un tourbillon de destins qu’elle imbrique avec malice et avec un certain humour, noir. En effet, les parcours des personnages qui vont se croiser à une heure bien précise sur une station-service d’autoroute sont dramatiques, pourtant ils sont le reflet de la comédie humaine. Des milliards de vies qui se croisent tous les jours, sans aucune cohérence, aucun chemin tracé par avance, juste le hasard. Et tout cela fait un roman qui n’a ni début ni fin, mais juste une quinzaine de personnes, à 23h12, sur aire d’autoroute précise.
Dans une station-service d’autoroute, une dame très âgée achète une canette de bière, c’est une nuit d’été, l’ensemble des protagonistes sont présents, avec un cheval et un cadavre. Dans quelques instants, cette vieille dame va traverser le garde-fou, et dans cet instant, Adeline Dieudonné va retracer les jours ou les heures précédant l’arrivée des autres personnages. Il faut, entre autres, savourer l’histoire de Julie qui tombe dans une famille de doux dingues gynécologues qui font des examens vaginaux avant l’apéro.
Adeline Dieudonné nous propose un recueil de nouvelles parfois incroyablement cruelles, corrosives en forme de comédie. Un recueil de nouvelles car le fil qui tient l’ensemble des chapitres est suffisamment fin pour simuler un roman. C’est là qu’agit le talent de l’écrivaine pour bluffer le lecteur. Toutefois, le piège est tellement bien réalisé qu’on s’y laisse prendre.
Début du livre « 23h12. Une station-service le long de l’autoroute, une nuit d’été. Si on compte le cheval mais qu’on exclut le cadavre, quatorze personnes sont présentes à cette heure précise. »
Extrait « Le cerveau de Victoire se laissait aller, bercé par la monotonie de la route et par la fatigue, et il ne remarquait pas le souvenir qui s’apprêtait à surgir, comme une bulle d’air saturé de soufre, remontant des abysses. Il se faufilait dans les méandres de son psychisme, déjouant les pièges et les mécanismes de défense, vers la lumière du jour. Il avait suffisamment attendu. Il était temps.»
Extrait « A un moment, Marie a demandé : « Julie, en attendant, est-ce que vous voulez voir votre utérus ? »
Elle m’a posé cette question comme si elle me proposait un jus d’orange.
Roger a renchéri :
« Mais quelle bonne idée !
- Le cabinet d’Olivier est juste à côté, tout équipé. Je peux vous faire échographie, juste pour vérifier que tout va bien.
- Profites-en pour lui faire un frottis.
- Oh oui ! Allez, venez, ça ne prendra que quelques minutes. »
J’ai dit :
- C’est très gentil, mais je ne veux pas abuser…
- Oh mais non, ça me fait plaisir ! J’ai pris ma retraite il y a six ans et pour tout vous dire, ça me manque un peu. » »
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