La sanction
De Trevanian, aux éditions Gallmeister, 1972
Coup de cœur pour le roman de mes vacances en Corse. Dans la chaleur des plages d’Ajaccio, ce récit qui nous entraine dans les neiges des Alpes suisses a été plutôt rafraichissant. Mais c’est surtout le génial Trevanian qui nous propose, dans un thriller teinté d’espionnage et d’aventure, un texte que l’on dévore. Les personnages sont décapants, même si l’auteur cultive les caricatures avec un humour corrosif, et c’est là que réside le talent de Trevanian. Son style est implacable, intelligent et jamais au degré où on l’attend.
Jonathan Hemlock est un éminent professeur d’art, il est aussi reconnu comme un alpiniste chevronné. Pourtant celui-ci cache, aux yeux du monde, une activité autrement plus lucrative, il est tueur à gages pour une agence secrète gouvernementale. L’argent qu’il reçoit lui permet d’assouvir sa passion dévorante mais très onéreuse, celle de collectionner des œuvres d’art. La lassitude venant, il accepte tout de même une ultime mission qui va le mener à gravir la face nord d’une des plus dangereuses parois des Alpes, celle de l’Eiger. Entre la terrible montagne et le froid, il lui reste encore à découvrir quelle est sa cible sur trois compagnons de cordée.
Trevanian s’amuse avec l’image de l’espion sûr de lui et dont les femmes s’amourachent. Malgré une accumulation de clichés, Trevanian nous réjouit avec un héros irrésistible aux prises avec une hiérarchie froide et sans scrupule, des adversaires retors, des femmes fatales, des amitiés indéfectibles, des étreintes passionnées et de l’amour. Trevanian est souvent à la limite du politiquement correct. Mais comment lui en vouloir quand son roman vous colle littéralement (à la paroi de l’Eiger), avec une bonne dose d’humour et de frisson.
L’Eiger est un sommet individualisé des Alpes situé entièrement en Suisse dans le massif des Alpes bernoises. Son nom, attesté en 1252, ne signifie pas « ogre », contrairement à une idée reçue, mais plus probablement « grand épieu ». La confusion est due aux alpinistes morts lors de la montée de la face nord : celle-ci, presque totalement verticale ou déversante, est considérée comme la plus impressionnante et la plus célèbre face des Alpes. Avec les faces nord du Cervin et des Grandes Jorasses, elle a constitué pour l'alpinisme l'un des « trois derniers problèmes des Alpes », et le dernier résolu.
L'Eiger est traversé par le tunnel d'un chemin de fer à crémaillère de la compagnie de la Jungfraubahn. Il existe une gare dans la paroi de la face nord, appelée Eigerwand, qui permet d'avoir une vue au sein de la face nord.
Début du livre « En début de soirée, la pluie était tombée sur le boulevard Saint-Laurent et il y avait encore des flaques triangulaires sur le trottoir bosselé. La pluie avait cessé mais il faisait encore assez frais pour justifier l’imperméable beige clair de l’agent CII Wormwood. Pour sa part il préférait les trench-coats, mais il n’osait pas en porter, sachant que ses collègues du service se moqueraient de lui. Wormwood avait trouvé un compromis en relevant le col de son imperméable et en enfonçant profondément ses mains dans ses poches. »
Extrait « Dites-moi, Hemlock, d’après votre expérience dans les Services de Renseignements de l’Armée, comment décririez-vous l’arme biologique idéale ?
- Nous ne sommes pas là pour bavarder, Dragon.
- Cela concerne directement le sujet qui nous préoccupe.
La voix de Jonathan prit le rythme pendulaire d’une récitation.
- La maladie doit tuer, mais pas rapidement. Les sujets atteints doivent être hospitalisés et soignés, si bien que chaque cas mobilise une ou deux personnes auprès de la victime. Le mal doit s’étendre de lui-même par contact et par contagion de façon à se répandre au-delà du périmètre de la zone d’attaque, provoquant la panique. Et ce doit être une affection contre laquelle nos propres forces peuvent être protégées. »
Extrait « Par la suite, sous les coups du marteau, les faces « impossibles » tombèrent les unes après les autres, mais la face nord de l’Eiger demeurait vierge. Puis, vers le milieu des années 1930, le culte que les nazis portaient à la montagne et aux nuages envoya contre les défenses de l’Eiger une vague après l’autre de jeunes Allemands brûlant de l’ardeur d’ajouter à la gloire de leur mère patrie déshonorée. Hitler offrit une médaille d’or à celui qi en ferait la première ascension ; et en régiments bien ordonnés, les blonds romantiques vinrent y mourir. Mais la montagne conservait son hymen. »
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