Le vol de la Joconde
De Dan Franck, aux éditions Grasset, 2019
J’avais découvert Dan Franck avec Bohèmes, un ouvrage sur les artistes de l’art moderne. On y parlait de Picasso, Apollinaire, Jarry, Max Jacob, Matisse, Braque… tous ceux qui ont fait de Paris la capitale de l’art et la renommée de Montmartre, au début du siècle dernier. Dans Le vol de la Joconde, on les retrouve tous dans une sorte de Traversée de Paris surréaliste ; Dan Franck, fin connaisseur de chacun des protagonistes, les fait dialoguer en jouant, parfois, avec les dates. Et finalement, la magie opère, les tableaux, les sculptures, les poèmes renaissent à travers les pages du livre. Un magnifique voyage.
En août 1911, la Joconde, le plus célèbre tableau du monde est dérobé au musée du Louvre. Même si Pablo Picasso et Guillaume Apollinaire ne sont pas directement liés à ce vol, ils s’inquiètent car ils possèdent illégalement deux statuettes provenant des collections du musée. Craignant que l’enquête de police mène les inspecteurs jusqu’à eux, ils décident de se séparer de ces œuvres compromettantes. Pendant quelques jours, ils parcourent les rues de Paris à la recherche d’un hôte bienveillant pour les statuettes.
Dan Franck fait revivre avec beaucoup de talent ces artistes, peintres, poètes, sculpteurs ou musiciens et leurs muses. Malgré la pauvreté et les galères, ils furent les génies du temps des Bohèmes et restent pour toujours des références et des légendes pour les artistes d’aujourd’hui. Ce vol de la Joconde, si réel soit-il, est un prétexte pour Dan Franck de faire revivre ce Paris des années 1910, qui a permis l’effervescence culturelle, l’éclosion de styles (fauves, cubistes, surréalistes) et la création d’œuvres incroyables.
Bateau-Lavoir Pablo Picasso, Kees van Dongen, Guillaume Apollinaire, Max Jacob… Les plus grands artistes et poètes du début du XXe siècle ont forgé la légende des ateliers du Bateau-Lavoir. Histoire d’un lieu incontournable de la vie montmartroise.
Le Bateau-Lavoir serait-il resté dans l’histoire si Picasso n’y avait pas dévoilé ses Demoiselles d’Avignon en 1907, et si Kees Van Dongen n’avait pas décliné, à Montmartre, sa palette fauve ? Rien n’est moins sûr. Ce lieu légendaire ne doit sa réputation qu’à la renommée de ses occupants. Considéré à juste titre comme le berceau des avant-gardes, l’endroit était en vérité une simple bâtisse en bois, divisée en une vingtaine d’ateliers sans confort, glacials en hiver et étouffants en été, avec un seul point d’eau.
Au 13 de la rue Ravignan, le Bateau-Lavoir a vu défiler, entre 1900 et 1910, les principaux acteurs de la modernité, qu’ils soient peintres ou sculpteurs (Juan Gris, Constantin Brancusi, Amedeo Modigliani), écrivains ou poètes (Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Pierre Mac Orlan, Pierre Reverdy), marchands de tableaux (Ambroise Vollard, Daniel-Henry Kahnweiler) ou collectionneurs (Frank Haviland, Gertrude et Leo Stein). Mais l’histoire commence avant eux. Les ateliers sont aménagés dès 1889, selon les plans de l’architecte Paul Vasseur, à l’emplacement d’une ancienne fabrique de pianos. Le terrain en pente, à flanc de colline, induisait une distribution des pièces atypique. L’entrée, sur l’actuelle place Émile-Goudeau, donnait en fait accès au troisième étage, et l’on descendait vers les niveaux inférieurs par un petit escalier.
D’après la Gazette Drouot
Vol de la Joconde C'est le 21 août 1911 que lors d'une de ses rondes, un gardien du Louvre constate la disparition du plus célèbre tableau du monde : La Joconde de Léonard de Vinci. Contre toute attente, l'employé ne donne pas immédiatement l'alerte. En effet, la simple idée du vol du portrait de Mona Lisa semble si incongrue qu'il pense que l'œuvre a simplement été déplacée par les conservateurs. Ce n'est que le lendemain que les responsables s'alarment, et que la police est tardivement prévenue. L'affaire est si grave que les autorités renforcent les contrôles aux frontières. Les soupçons portent d'abord sur le poète Guillaume Apollinaire, mis en cause quelques années plus tôt dans le vol de statuettes ibériques que son ami Géry Pieret avait revendu à Picasso. Apollinaire est emprisonné à la Santé du 7 au 11 septembre 1911, avant d'être blanchi.
Deux ans durant, la presse internationale spécule sur l'affaire. L’incroyable histoire de cette disparition achève de porter au pinacle la célébrité de Mona Lisa. La revue L'Illustration promet cinquante mille francs pour qui rapporterait le tableau dans les locaux du journal. L'écrivain italien Gabriele D'Annunzio revendique le forfait au nom de son nationalisme italien. Il n'est pas pris au sérieux.
Pourtant, le mobile était le bon : le voleur était un ouvrier italien nommé Vincenzo Perugia, qui travaillait au Louvre. Il conserva le tableau pendant deux ans, caché dans sa chambre, avant de le proposer, contre 500 000 lires, à Alfredo Geri, un antiquaire Florentin. Ce dernier examina le tableau le 11 décembre 1913 en compagnie d'un ami, Giovanni Poggi, directeur du musée des Offices. Et ils prévinrent la police.
Le 13 décembre 1913, jamais en retard d'un scoop, le New York Times publiait la première déposition de Perugia : "Souvent, pendant que je travaillais au Louvre, je m'arrêtais devant la peinture de Vinci, et j'étais humilié de la voir ainsi en terre étrangère. La subtiliser fut très simple. Je n'avais qu'à choisir le moment opportun. Un matin, j'ai rejoint mes camarades décorateurs au Louvre, j'ai échangé quelques mots avec eux, puis je suis entré dans le salon où la peinture était accrochée. Il était désert. La peinture souriait devant moi. En un instant, je l'avais décrochée du mur. J'ai déposé le cadre dans l'escalier et glissé le panneau sous ma blouse. Tout s'est fait en quelques secondes. Personne ne m'a vu, personne ne m'a suspecté…" Tenant compte de ses intentions patriotiques, le tribunal condamna Perugia à un an et quinze jours de prison, peine qu'il n'accomplit pas dans sa totalité. Le 4 janvier 1914, La Joconde retrouvait le Louvre, sous une plus étroite surveillance, semble-t-il.
Début du livre « L’histoire commence un matin, dans les premières années du XXe siècle, à la terrasse d’un café, Dôme ou Rotonde selon l’inclinaison du soleil. Il y a là un homme qui déplie Paris-Journal et s’arrête en page 2. Il découvre un gros titre qui l’intrigue : Le vol de la Joconde. Il lit. Et plus il lit, plus il se tasse sur sa chaise. »
Extrait « Il voit juste, Apollinaire. Peut-être connaît-il un dessin de Picasso datant de l’époque où il avait peint Les Derniers Moments pour l’Exposition universelle de 1900. Il s’était représenté en compagnie de ses copains espagnols. Il ouvre la marche, les autres suivent. Les noms de chacun sont inscrits sous leurs silhouettes respectives. Sous le plus petit de tous, qui n’avait pas encore découvert le Bateau-Lavoir, on lit cette inscription toute simple : Moi. »
Extrait « La métamorphose est prodigieuse. La question que je me pose en regardant cette transformation, c’est si Picasso l’avait anticipée ou si elle lui est apparue au cours de son travail. Et me revient une réponse que m’avait faite le peintre Soulages alors que je lui demandais, pour un mauvais livre jadis publié, quelle différence existe, selon lui, entre l’artiste et l’artisan. A quoi il m’avait répondu : « L’artiste et l’artisan savent où ils vont, mais l’artiste ne connaît pas le chemin.» »
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