📙 Le voyant d’Étampes
D’Abel Quentin, aux éditions L'Observatoire, 2021
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Une excellente surprise à la lecture de ce roman, alors qu’au bout d’une centaine de pages je ne savais pas encore où Abel Quentin allait m’emmener. Puis, toutes les pièces de l’étrange puzzle de la vie de Jean Roscoff s’assemblent pour nous entraîner dans une course folle, un tourbillon d’idées et de concepts. Avec beaucoup d’humour et de recul, l’écrivain décrit un homme malmené par les réseaux sociaux, les médias et qui devient un punchingball entre la fachosphère, les communautaristes, les journalistes,… Un roman qui n’a pas vocation à dénoncer mais qui éclaire beaucoup sur les bouleversements actuels de notre société.
Jean Roscoff est un universitaire retraité, il lui semble être passé à côté d’une brillante carrière et son divorce le laisse seul face à ses problèmes d’alcool. Sa jeunesse militante avec Harlem Désir et Julien Dray l’ont maintenu dans les engagements politiques et sociétaux de sa génération. Aujourd’hui, désormais libre de toute obligation, il décide d’écrire un livre sur un poète américain méconnu. Mais cet essai va le mettre sur le devant de la scène, façon bad buzz !
En tant qu’homme, blanc, hétéro, il est dangereux J de donner son avis sur le fond de ce roman sans avoir l’appréhension de déclencher une réaction en chaine incontrôlable sur les réseaux sociaux. Quoi qu’il en soit, Abel Quentin a réussi le tour de force, d’évoquer des sujets extrêmement clivant grâce à un grand talent d’écriture, un œil acéré sur les tensions de notre société et surtout avec beaucoup d’humour.
Début du livre « « - Nous sommes tous des enfants d’immigrés »… Ça veut dire quoi, ça ? Vous pensez vraiment que vous pouvez ressentir le dixième de ce que ressent un immigré ? Vous ne pensez pas qu’il est temps de laisser parler, les « enfants d’immigrés » ? De ne plus confisquer leur voix ? »
Extrait « Nous avons parlé un peu au dîner de Noël. Léonie m’a dit que ce serait sympa d’inviter Jeanne, je lui ai répondu que ça ne collerai peut-être pas avec mon père, je veux dire qu’il risquerait à chaque seconde de lâcher une bombe atomique, il n’était pas très avancé sur les luttes du mouvement LGBTQIa+ e la sororité, il n’était même carrément hétéronormatif, déjà que j’avais encore pas mal de boulot alors lui, avec son éthos de mâle alpha, ça risquait d’être tendu. »
Extrait « Canal. Une télé intello-porno-chic qi ouvrait grandes les portes du talent, où les émissions étaient écrites par Wolinski et Jean-Michel Ribes, où le parisiannisme marchait main dans la main avec le sport de masse et la pornographie. Cette télé était animée par une caste puissante qui se présentait sous l’aspect sympathique et potache d’une bande de potes. Dans les studios de l’avenue D. officiaient les prêtres de cette chose fabuleuse, de ce chic ultime : l’esprit Canal. Ils étaient les hommes et les femmes les plus rayonnants de leur temps, ceux qui combinaient la puissance financière, l’hégémonie symbolique et surtout l’esprit de dérision, l’arme fatale de celui qui met les rieurs de son côté. »
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