📙 [𝓒𝓱𝓻𝓸𝓷𝓲𝓺𝓾𝒆] Les naufragés du Wager
- jmgruissan
- 20 sept.
- 4 min de lecture
De David Grann, aux éditions Points, 2023
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[Coup de cœur] Ce roman est une vraie réussite. A partir de témoignages sur le naufrage du Wager, un bateau de la Navy, David Grann construit un véritable récit documenté, mais surtout plein d’aventures, d’hommes soumis aux dangers d’une nature en furie, aux ordres implacables d’officiers, aux douleurs les plus cruelles. L’auteur, à travers un incroyable travail de recherche et de recoupement d’informations, fait revivre les personnages d’un drame maritime qui va révéler, au fur et à mesure des événements, des comportements si exacerbés que l’aventure de Koh Lanta passe pour un week-end à Disneyland. Une invitation à passer le Cap Horn, dans les conditions les plus terribles.
C’est en 1740, que l’Amirauté décide de monter une escadre afin de piller les galions espagnols revenant des colonies chargés de trésors. Cette flotte comprend un vaisseau baptisé le Wager. Les équipages sont alors recrutés, parfois même de force, pour un voyage qui durera plusieurs mois. Les règles et les conditions de vie sont très rudes même pour l’époque. Ils devront vivre des batailles, des maladies, des privations, des tempêtes et surtout le passage du meurtrier Cap Horn. Nous vivrons avec une poignée d’hommes leur survie sur une île inhospitalière en Patagonie. Des conditions de vie extrêmes qui vont rebattre toutes les cartes de la bienséance établies par la Navy britannique.
Dernièrement, lors d’un voyage à Stockholm, j’ai pu visiter le musée Vasa. Le Vasa est le navire du 17ème siècle le mieux conservé au monde, magnifiquement orné de centaines de sculptures ciselées et constitué à 98 % de ses pièces d’origine. Cette visite fait écho à la lecture de ce roman, car j’ai appris énormément sur ces navires et sur la vie à bord. Ce roman est un témoignage puissant sur ces siècles d’impérialisme et de colonisation, au cours desquels la vie des hommes n’avait que très peu de valeur face à la soif d’expansion et de gain des grandes puissances. Un grand roman sur la manipulation des faits, la justice et le devoir de mémoire.
❓ Appréciez-vous ces récits de voyages en bateau ?

𝓓𝒆́𝓫𝓾𝓽 𝓭𝓾 𝓵𝓲𝓿𝓻𝒆 « Chaque membre de l’escadre embarquait à bord avec un coffre de marine et le poids de son histoire intime : chagrin d’amour, peine de prison passée sous silence, femme enceinte éplorée laissée sur le carreau. Ou encore soif de gloire et de richesse, peur de la mort. David Cheap, le second du navire amiral de l’escadre, le Centurion, ne faisait pas exception. »

𝓔𝔁𝓽𝓻𝓪𝓲𝓽 « Les températures chutèrent puis les pluies épaissirent, durcirent et se muèrent en grésil et en neige. Les filins étaient recouverts d’une croûte de glace et quelques hommes attrapèrent des engelures. « Au-dessous de quarante degrés de latitude, il n’y a plus de loi, au-dessous de cinquante degrés, il n’y a plus de Dieu », met en garde un adage. Or l’équipage se trouvait maintenant dans les cinquantièmes hurlants. »

𝓔𝔁𝓽𝓻𝓪𝓲𝓽 « Byron, Bulkeley et Campbell agitèrent leurs chapeaux en direction des pagayeurs pour les inviter à s’approcher. L’expédition d’Anson avait reçu du roi d’Angleterre un manifeste à la formulation pleine d’arrogance à présenter aux nations indigènes rencontrées pendant ce périple : ce document leur proposait de les affranchir de leur existence prétendument dépravée et de les aider à instaurer un gouvernement afin qu’ils puissent devenir « un peuple heureux ». Pourtant, les naufragés avaient compris que ce peuple qualifié par les Anglais de « sauvage », pourrait détenir la clef de leur salut. »

𝓔𝔁𝓽𝓻𝓪𝓲𝓽 « Dieu voyait-il les actes qu’ils commettaient ? Bulkeley chercha du réconfort dans la lecture de L’Imitation de Jésus-Christ, mais un passage le mit en garde : « Si vous aviez une bonne conscience, vous ne craindriez pas beaucoup la mort. Il serait mieux de se garder du pêché, que de fuir la mort. » Etait-ce pourtant un pêché que de vouloir vivre. »
𝓔𝔁𝓽𝓻𝓪𝓲𝓽 « Les sabots de sa monture claquant sur les routes aux pavés boueux, il chevaucha par les champs et les hameaux, traversa des bourgs qui entouraient Londres, la plus grande ville d’Europe avec une population approchant les sept cent mille habitants. La ville- cette « grande chose monstrueuse », ainsi que l’appelait Defoe – s’était encore étendue depuis le départ de Byron. Les vieilles maisons, les églises et les échoppes étaient maintenant cernées de nouveaux bâtiments de briques, de logements et de magasins ; les rues étaient encombrées de diligences et de calèches, d’aristocrates, de négociants et de boutiquiers. Londres formait le cœur battant d’un empire insulaire bâti au prix du labeur des marins, de l’esclavage et du colonialisme. »
𝓔𝔁𝓽𝓻𝓪𝓲𝓽 « Après son retour en Angleterre, Morris publia un récit de quarante-huit pages, qui s’ajouta à la bibliothèque sans cesse plus volumineuse de ces chroniques de l’affaire du Wager. Les auteurs se présentaient rarement, leurs compagnons et eux, en agents d’un système impérialiste. Ils étaient la proie de leurs propres luttes quotidiennes et de leurs ambitions, occuper à manœuvrer leurs navire, à obtenir des promotions et à gagner de l’argent pour faire vivre leur famille et, en fin de compte, à leur survie. Mais c’est précisément cette complicité irréfléchie qui permet aux empires de prospérer. En fait, c’est exactement ce dont ces structures impériales ont besoin : des milliers et des milliers de gens ordinaires, innocents ou non, qui servent un système, qui se sacrifient même souvent pour lui, sans qu’aucun, ou presque, ne le remette jamais en question. »
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